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Wa :

L'harmonie sociale

Une traduction littérale est une fois de plus très difficile. Wa est lfancien nom du Japon avant qufil ne soit renommé par référence à la Chine « Pays du soleil levant ». En gros, il signifie « harmonie sociale » ; une certaine humilité, une certaine sensibilité qui permet de mieux vivre ensemble ; une communauté de mentalités. Ce thème est par exemple parfaitement illustré par la cérémonie du thé (voir Chado). Chaque détail, des ustensiles utilisés aux mets servis, contribue à une véritable symphonie culinaire. Cette balance sfétend à la relation entre lfhôte et son invité ; chacun interagit avec lfautre en se mettant à sa place. Il sfagit de toujours garder en tête cette image mentale des rôles inversés. Quand le prêtre Zen Kokei fut envoyé en exil par le despotique Hideyoshi, Rikyu organisa une cérémonie dfadieu pour son ami. Pour cette occasion spéciale, il avait accroché le rouleau dfune encre chinoise de la main dfun célèbre artiste. Cette calligraphie était lfune des plus précieuses de Hideyoshi qui avait été confiée à Rikyu pour qufil y fasse des réparations. Cet affront aurait probablement coûté la vie au grand maître sfil était arrivé aux oreilles du despote : une belle communion dfesprit entre lfhôte et son invité.  

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Le Japon ne représente que deux tiers de lfhexagone, pour deux fois sa population. A peu près la moitié du pays est couverte de montagnes inhabitables. Les villes se concentrent dans les grandes vallées de bord de mer. Le tout donne lieu à des zones urbaines atteignant des densités de population les plus élevées du monde qui ont engendrées un monstre : Tokyo-Yokohama, la plus grosse ville du monde. La compétition est âpre dans tous les compartiments de la vie quotidienne. Il nfest pas rare de devoir passer une séance de cinéma debout. Avec plus de 15,000 habitants au mètre carré, la taille des habitations a tendance à se rétrécir. Il nfy a plus de place pour les pièces utilitaires. Alors le plus possible dfactivités sont sous-traitées. Typiquement, alors que la taille des coins cuisines se réduit, manger chez soi est devenu un luxe. Une myriade de restaurants offre des menus à bas prix. Des restaurants partout ; dans les étages ; dans la rue ; sous les ponts. Ils ne sont plus un lieu de socialisation, mais des cantines. Certains se spécialisent dans le repas individuel. Un peu déprimant de manger tout seul. Alors la salle à manger sforganise autour de lfactivité, cfest à dire la cuisine. Les clients sfattablent à un bar circulaire. En son centre, le chef fait son spectacle. Les yeux dans le vague, comme devant un tube cathodique, on peut laisser divaguer son esprit tout en aspirant ses nouilles à grand bruit.  

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Lfintimité au sens occidentale du terme est aussi un luxe. Ainsi elle peut être sous-traitée. Un appartement est communément partagé par quatre générations. Le soir, les futons sfentassent dans le peu dfespace vital. Aussi, des hôtels spécialisés proposent des chambres à lfheure pour les couples en quête de vie privée. Confier celle ci à des professionnels nfest pas aussi déprimant qufon peut le croire. La table quand elle sort de la cuisine pour le restaurant, ouvre la porte de lfexotisme. On peut tester les cuisines régionales, faire du tourisme culinaire et goûter aux milles saveurs de mets inconnus. La même diversité existe pour les fantasmes. Dans cette société machiste, lfimaginaire érotique masculin règne. Ces « Robou Hotérou » (de lfanglais « love hotel ») sont souvent à thèmes, parfois les plus ésotériques. Il faut imaginer faire lfamour sur le pont de lfEntreprise, le vaisseau de Star Trek. 

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Pour faire face à ces conditions sans précédent, les Japonais préfèrent renforcer leur cohésion. Lfédifice social est ainsi particulièrement bien conçu. Les rapports humains sont encore partiellement régis par des règles de conduite chevaleresques (voir Giri) qui promeuvent la solidarité. Il reste une longue tradition de politesse (voir Keigo), qui lubrifie les rapports sociaux. On connaît les fantastiques performances de la société nippone ; le taux de criminalité est très bas ; il y a peu de cas de divorce et le noyau familial est remarquablement stable ; le degré de satisfaction est généralement très haut. Pour ce qui est des tensions sociales, elles sont quasiment inexistantes. La vaste majorité des Japonais se déclarent faire partie de la classe moyenne. Les rapports entre le patronnat et les syndicats sont exemplaires ; ils sfinscrivent dans le cadre dfaccords entre les parties dfun tout, plutôt que dans une lutte qui serait un jeu à somme nulle : on recherche en permanence le consensus. Avez-vous déjà essayé de planter un noyau dfavocat ? Il faut commencer par faire tremper le noyau dans lfeau pour que de jeunes pousses de racines sortent (on plante des allumettes sur son bord pour le faire tenir dans un verre). Cfest seulement lorsque les racines commencent à sfenrouler dans lfeau, que lfon transplante le bulbe dans la terre. Cfest ce procédé de jardinage que décrit Nemawashi. Cette patiente préparation permet de faciliter grandement la transplantation, puisque les jeunes pousses permettent un ancrage immédiat dans le sol. Dans le monde de lfentreprise, le terme est utilisé pour décrire des consultations informelles qui ont pour but de trouver un accord avant une soumission officielle pendant un conciliabule public. Une série de consultations préalables permet effectivement de cimenter lfébauche dfun accord avant le face-à-face public. Le procédé permet dféviter les dissonances inutiles qui ne manqueraient pas dfapparaître lors dfun débat public. La société nippone fonctionne sur la base du consensus. Le phénomène est aussi particulièrement apparent dans la vie politique du pays. On est loin du débat public qui est sensé être sous jacent au processus démocratique.  

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Cette communauté de mentalités implique une certaine distance avec lfindividualisme. Elle repose sur le fait que le groupe est plus important que lfindividu. Lfindividu nfest rien ; le collectif avant tout (voir Shuudan). Ainsi dans la société médiévale nippone, les serfs nfavaient même pas de nom. Le doux son de lfharmonie doit raisonner à tout instant. Aucune dissonance nfest permise. Lfagression ne peut sfexprimer de façon directe, comme cfest la pratique en occident. Ainsi, mis dans une situation de conflit direct, un japonais sera extrêmement embarrassé. Lfarbitre qui officiait pour notre match de rugby contre lféquipe de la Navy américaine me racontait que le titulaire japonais refuse dfarbitrer les matchs qui opposent deux équipes étrangères. Le démêlage de ces pugilats est aimablement laissé à son collègue anglais. Cette tyrannie de lfharmonie est parfois un fardeau, qufun occidental aurait beaucoup de mal à porter. Le ciment des joints sociaux prend rapidement et on peut sfy retrouver encastré sans beaucoup de place pour respirer. Qufon ne me demande pas de ne pas  prendre mes vacances, sous prétexte de ne pas surcharger mes collègues.  

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Cette harmonie collective peut parfois se retourner contre ses membres individuels. Dans une société homogène, la moindre différence peut être prétexte à lfexclusion. Ainsi, les persécutions scolaires sont un problème national. Avoir vécu à lfétranger avec sa famille ou être mauvais en sport sont des raisons suffisantes pour être exclus par ses camarades. Ce sont les fameux « Ijime ». Les vexations viennent parfois des professeurs eux-même et sont parfois physiques. Le rejet sociale est si cruel que les « Ijime » arrêtent souvent dfaller à lfécole. Dans les cas les plus tragiques, leur souffrance est parfois si grande qufils choisissent de mettre fin à leurs jours.

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